Le OFF c’est forcement moins bien que le IN

Lorsqu’on explique à des proches que l’on « fait » le festival d’Avignon, surgit souvent la question : « Mais tu fais le IN ou le OFF ? » À la réponse : « Je fais le OFF», il y a souvent chez l’interlocuteur comme l’ombre d’une déception. À l’image de cette autre interrogation : « Tu es comédien ? Mais t’es pas connu ! »

UNE Réalité et une coexistence bien plus complexe que ça

Il est vrai que pour des néophytes, la différence entre ces deux festivals, qui ont lieu dans la même ville quasiment en même temps, n’est pas évidente à saisir du premier coup. Le réflexe premier est en effet de se référer à la langue (anglaise[1]) et de conclure : il y a ceux qui sont dans l’officiel, et donc « dedans » (le IN) et il y a ceux qui aimeraient, mais qui ne peuvent pas et jouent à l’« extérieur » (le OFF). C’est évidemment un peu plus compliqué que ça.

S’il est vrai qu’historiquement le festival OFF s’est créé en réaction au IN, il a très vite pris son indépendance. La coexistence a parfois été houleuse, ou du moins dédaigneuse, de part et d’autre. Il en était de même pour les spectateurs, qui longtemps ne jurèrent que par l’un ou par l’autre. Aujourd’hui, la frontière entre les deux festivals n’est plus aussi étanche. Hormis quelques irréductibles, nombre de festivaliers prennent des places dans l’un et dans l’autre (avec souvent une nette préférence, c’est vrai, pour l’un ou l’autre).

LE IN 40 spectacles contre 1800 pour le OFF

La différence majeure apparaît en termes de « création ». Du côté du IN, ce sont environ quarante spectacles subventionnés pour environ trois cents représentations – avec un budget de 13,3 millions d’euros pour l’année 2010 –, alors que le OFF, c’est la fédération de mille cinq cents spectacles, financés par les compagnies elles-mêmes. Un raccourci facile serait d’opposer un théâtre élitiste, indigeste, institutionnel (le IN), à un fourre-tout de créations anarchiques, commerciales, où règne la débrouille (le OFF). Même s’il y a nécessairement une part de vérité.

UNE différence de création ?

En effet, du côté du IN, pour les compagnies choisies par un directeur artistique, il n’y a pas de risque financier. Elles bénéficient d’un précieux confort de création, ce qui explique parfois des expériences scéniques particulières, voire extraordinaires (et d’autres plus discutables), mais aussi de diffusion : la communication étant à la charge du festival IN, pas de parades, pas d’affichage ni de tractage, etc. Tandis que du côté du OFF, il n’y a pas de véritable ligne éditoriale, à l’exception de certains théâtres qui usent d’un droit de regard sur leur programmation. Se côtoient alors des classiques, des auteurs contemporains, du clown, du mime, de la danse, de l’improvisation, des marionnettes, des one-man-shows, des chanteurs d’opéra, de la chanson française (ou d’autres pays), du café-théâtre, de la poésie… De ce foisonnement il ressort forcément des choses discutables (voire racoleuses), mais aussi élitistes (ce n’est pas l’apanage du IN !), et heureusement, très régulièrement, de véritables pépites.

clémence solignac ciel la nuit et la pierre glorieuse festival avignonHier, je suis allé voir un spectacle du IN : Le ciel, la nuit et la pierre glorieuse. Une connaissance jouait dedans, et l’occasion m’était donnée de voir leur dernière (le salut a été particulièrement émouvant). Un super-spectacle autour de… – je vous le donne en mille – les chroniques du festival d’Avignon de 1947 à 2086 ! Décidément, je n’en sors pas ! En plein air, devant un public très nombreux et conquis, cet épisode traitait de la vision du festival en 2086, avec la participation de collégiens en écriture et en jeu. Les comédiens et les adolescents nous ont livré une représentation d’un « demain » teinté de beaucoup d’aujourd’hui (le nom de François Hollande est ainsi beaucoup revenu !) avec de beaux espoirs sur le futur du théâtre (comme par exemple des jours fériés pour aller au festival) et de vraies préoccupations pour l’écologie. Ma seule déception a été de ne pas avoir eu le temps d’assister aux précédentes représentations. C’est souvent le cas dans ces deux festivals d’Avignon, devant le nombre et la diversité des spectacles, il y a chez le spectateur une certaine frustration de ne pouvoir tout voir. D’où, parfois, une crispation chez le festivalier quand il assiste à un « mauvais » spectacle, avec cette obsession récurrente qu’il est en train de perdre son temps et de rater un autre spectacle, bon celui-là.

Une différence politique

Les deux festivals se distinguent avant tout par la politique culturelle qu’ils incarnent. C’est l’occasion pour moi de revenir sur quelque chose qui a fortement ponctué  nos parades. Michel Valls, l’un des quatre comédiens qui jouent dans Jeux de l’amour et du pouvoir, porte comme chacun sait le même patronyme que notre Premier ministre actuel, dont la popularité est en ce moment au plus bas. Je ne compte plus les réflexions depuis le début d’Avignon ! Lors de la distribution des tracts, sur lesquels sont inscrits les noms des comédiens : « Michel Valls ?! Ah, c’est le cousin de Manu ?! », « Oh… mais il y a un gros mot, sur ce fly ! », « Si il y a Valls, alors moi, j’y vais pas ! » Depuis, j’ai pris le contre-pied. Hier, alors que je tractais un groupe de six personnes à la table d’une terrasse, le sujet est forcément venu sur le tapis. J’explique alors que je joue le rôle d’un jeune compositeur qui veut réussir à Paris et qui se fait prendre en main (pour ne pas dire autre chose) par un ministre de la Culture plutôt manipulateur. Je rajoute que celui qui joue le ministre, c’est Michel Valls, et que nous l’avons choisi pour être « raccord ». Ça les a fait beaucoup rire ! Je ne sais pas si c’est l’argument qui a payé, mais nous avons échangé sur d’autres sujets, et j’ai eu la joie de les voir arriver à la caisse quelques heures plus tard !

UN MEME OBJECTIF

Pour conclure, si entre le IN et le OFF, la différence est avant tout politique, nous servons la même cause  : raconter des histoires, transmettre des idées, défendre des propos, faire rêver par ce formidable vecteur qu’est le théâtre. Cela peut faire un peu Walt Disney, comme conclusion, mais pour avoir assisté à de très bons spectacles dans les deux festivals, j’ai cette furieuse sensation.

Aujourd’hui, le festival IN se termine, et, contrairement à ce que des journalistes mal informés ont annoncé, nous, dans le OFF, nous poursuivons notre mission encore une semaine, jusqu’à dimanche prochain !

1 : Le nom du « off » tirerait son appellation de celui de « Broadway off » (lui-même désignant les productions théâtrales qui désiraient se libérer de l’orientation jugée trop commerciale des théâtres de Broadway). Les deux festivals se déroulent en Avignon intra-muros. Il y a aussi parfois le OFF du OFF, des événements en extérieur, comme sur l’île de la Barthelasse (Out ?), des spectacles de rue, et cette année un festival à Contre-Courant (parce que sponsorisé par EDF…).

Retrouvez d’autres chroniques et découvrez les coulisses du festival Off dans mon livre Sur le front d’Avignon

« Tous ceux qui aiment ce festival devraient avoir à cœur de lire ce récit, pour comprendre la réalité de ce que vivent ceux par qui il existe : les artistes. »

La Provence