alis guquet parade avignon off audrey michel

Alis Guquet en parade Crédit photo : Audrey Michel

Parmi les questions des spectateurs ou des connaissances, il en est une récurrente : « Ce n’est pas trop dur de jouer tous les jours la même chose ? On ne s’en lasse pas ? » Quand j’y songe, je la trouve amusante cette question, car elle émane souvent de personnes qui accomplissent le même travail, depuis des années – car oui, si certains l’ont oublié, aussi curieux que cela puisse paraître, c’est aussi un travail, de « jouer » une pièce ! La réponse va peut-être vous surprendre : bien au contraire ! C’est une chance pour une pièce d’être jouée tous les jours. C’est même un réel plaisir pour les comédiens. À chaque représentation, nous pouvons tester de nouvelles choses, expérimenter des intentions, des silences, gommer le « trop », ou ce qui ne fonctionne pas. Peu à peu, la pièce prend une belle patine, gagne en efficacité. Et nous jouons et rejouons avec plaisir, intellectuellement débarrassés du schéma du texte et de la mise en scène, pour laisser la pièce vivre et grandir sous l’œil d’un accompagnant de taille : le public. Pas plus tard que ce matin, Michel Valls est venu dans ma chambre et, entre deux cafés et quelques lignes de cette chronique, il m’a proposé un nouveau déplacement et une manière différente de jouer une petite scène que nous avons tous les deux dans Jeux de l’amour et du pouvoir.

michel heim parade avignon off audrey michel.jpg

Michel Heim Crédit photo : Audrey Michel

Certes, il y a des coups de « moins bien », des coups de fatigue, peut-être aussi un peu de lassitude. Parfois nous sommes en dessous, parfois nous « crochons » un mot, nous oublions une phrase, ce qui dans notre cas est assez dramatique, la pièce de Michel Heim étant en alexandrins ! D’autres fois, c’est le public qui réagit différemment, ne riant pas aux mêmes endroits ou bien se contentant de seulement sourire. On l’a dit, c’est désarmant quand on est « sur le plateau », le rire étant le marqueur le plus évident pour les comédiens des réactions du public, avec les applaudissements entre les « noirs ».

alis guquet parade avignon off photo audrey michel

crédit photo : Audrey Michel

Jouer tous les jours la même pièce m’a aussi fait découvrir une nouvelle manière d’appréhender l’attente en coulisses. Avant de l’expérimenter, j’étais toujours intrigué par ces comédiens capables de faire plein de choses variées en coulisses – discuter, déconner, aller aux toilettes, regarder un match pour une coupe du monde – puis de rentrer ensuite sur scène avec la même énergie et la même implication que s’ils étaient restés totalement concentrés. Dans ce registre, mon meilleur souvenir date de mon premier Avignon, en 2010, avec ma camarade de jeu (et d’écriture) Camille German. Nous jouions la Cantatrice Chauve, elle Mr Smith et moi Mme Smith (eh oui !). Nous ouvrions la pièce pendant un quart d’heure, avant de nous retrouver le quart d’heure suivant derrière le décor,  pendant la scène Mr et Mme Martin (Priscilla Monchalin et Franck Régnier). Alors que le mois était bien avancé, et que la fatigue se faisait sentir (nous étions dans d’autres conditions que cette année 2016), Camille s’était couchée dès son arrivée en coulisses, puis s’était endormie profondément ! J’étais vaguement inquiet, n’osant pas la réveiller, dubitatif quant à son énergie quand nous allions retrouver le plateau… Alors que le quart d’heure était sur le point de s’être écoulé, au moment où d’habitude nous commencions à nous échauffer (le spectacle était très physique et l’espace en coulisses microscopique), je me suis approché, bien décidé à la secouer. Je n’en ai pas eu le temps ! Au mot prêt prononcé par nos compagnons qui étaient sur scène, là où elle avait coutume de se préparer, elle a soudain ouvert les yeux, s’est étirée et a commencé sa gymnastique comme si de rien n’était. Le cerveau à des ressorts insoupçonnés ! Ce jour-là, Camille a joué avec la même énergie et la même intensité que les autres fois.

clown jumping Jean-claude photo Audrey Michel

Jumping Jean-Claude crédit photo Audrey Michel

Hier a été une belle journée ! Ce fut une très bonne représentation des Jeux de l’amour et du pouvoir. À la parade, nous avons eu la joie d’être suivis par la photographe Audrey Michel,  et cela a été aussi pour moi l’occasion, en fin de journée, de relever un défi que je m’étais lancé avant de partir. Puisque Avignon, dans ce foisonnement artistique, c’est aussi la possibilité de faire des tests, j’ai sorti mon clown « Jumping Jean-Claude » (du Cabaret des supers Nases !) afin de le tester en pleine rue. Une belle réussite, un public bienveillant (de quoi rapporter des sous pour aller boire des coups ou acheter des pains au chocolat le matin) et, là encore, un véritable laboratoire pour tester mille choses et faire grandir le numéro.

Retrouvez d’autres chroniques et découvrez les coulisses du festival Off dans mon livre Sur le front d’Avignon

« Tous ceux qui aiment ce festival devraient avoir à cœur de lire ce récit, pour comprendre la réalité de ce que vivent ceux par qui il existe : les artistes. »

La Provence