Malgré les récentes annonces et avec notamment l’annulation des festivals et encore beaucoup d’incertitudes, il n’y aura pas de tournée cet été.

La Cie Colegram m’a demandé un texte. Pas facile de mettre des mots sur cette situation dramatique. Avec difficulté, j’ai cherché. J’ai puisé dans tout ce qui fait la force des spectacles, de la tournée. J’ai revu tous ces visages… J’ai fini par écrire.

Voilà. Un texte pour tous les artistes, les techniciens, les festivals, les organisateurs, les bénévoles, les spectateurs, tous ceux qu’on ne croisera pas cet été.

Retrouvez ce texte lu et illustré pas les membres de la Cie Colegram. Musique Pierre Muller, Montage Lucas Bernardi, Images Cie Colegram et Patrick Durand

La tournée d’été aurait dû commencer. La tournée d’été n’aura pas lieu. À l’heure où certains reprennent le travail, où d’autres, courageux, ne l’ont pas quitté, cette année un virus a décidé de se jouer de nous. Et nous, nous ne jouerons pas.

Alors que cette période nous a (re)montré l’importance du lien. A l’heure où la nécessité de chaleur humaine est plus criante encore. Où le contact physique est ostracisé, où la bise à la française (et le french kiss) est banni. Où les amis, les proches semblent loin. Où l’on s’évite, se toise derrière un masque, le spectacle va nous manquer.

Pas de spectacles. Et ce qui va nous manquer c’est cette allégresse, cette futilité, cette nécessité. La force d’une représentation, sa maladresse, sa poésie, son inutilité parfois, sa grâce… Et tant d’autres choses qui perdurent longtemps après en nous… en vous.

Pas de festival, pas de spectacles. Et ce qui va nous manquer ce sont peut-être moins vos félicitations et vos applaudissements que vos rires, de vos regards et avec certitude les échanges. Les questions, la volonté des enfants (et de certains adultes) de tout voir, tout toucher, les critiques, la bière offerte à l’issue de la représentation par la mairesse d’un petit village ou par vous que l’on appelle spectateurs et qui êtes bien plus que ça.

Pas de festival, pas de spectacles. Et ce qui va nous manquer c’est l’accueil des organisateurs, les programmateurs qui se battent pour faire exister la culture sur leur territoire, ce sont ces bénévoles qui se mettent en quatre pour nous recevoir parfois jusque chez eux. Qui mettent tant d’énergie et de plaisir à nous aider à installer les décors, à nous nourrir, comme à nous présenter leurs régions. Ce qui va nous manquer ce sont ces rencontres plaisantes, inégales, surprenantes et rarement anodines.

Pas de tournée, pas de festivals, pas de spectacles. Et ceux qui vont nous manquer ce sont les autres artistes, ceux croisés entre deux représentations. Ces êtres un peu bancals, à vif et généreux avec qui l’on partage plus qu’une passion. Ce qui va nous manquer, c’est cette vie de troupe, le jeu, la route et tant d’autres choses vécus et partagés qui font que nos collègues nous connaissent comme peu de proches.

Pas de tournée, pas de festivals, pas de spectacles. Et ce qui va nous manquer c’est notre âme d’enfants, c’est les autres, c’est vous.

Mais nous sommes des créateurs et de tout temps nous avons su nous réinventer. C’est même notre métier, notre passion, notre raison de vivre. Nous avons survécu aux intempéries, à l’incendie de notre camion, aux accidents, à l’oubli de costumes, à la promiscuité, aux engueulades, aux doutes, à la précarité, aux désillusions, aux échecs… Et nous sommes toujours prêts à recommencer pour retrouver la magie d’une représentation.

Aujourd’hui, nous ne savons pas comment vous retrouver. Nous en connaissons seulement la nécessité et l’urgence.

Et nous y travaillons (ce qui ne veut pas dire que nous ne sommes pas ouverts à vos idées).

Pas de tournée, pas de festivals, pas de spectacles. Mais nous ne nous avouons pas vaincus. Nous savons jouer avec l’imprévu, transformer les galères en des moments uniques, faire d’une contrainte une création. Avec votre aide, nous allons trouver.

Pour poursuivre un spectacle VIVANT.

Pour continuer à toucher et être touché.

À très vite.

Gaël Dubreuil

Mai 2020